lundi 5 novembre 2012

"Mon intime conviction" par Tariq Ramadan


(Après avoir rédigé un résumé en cinq parties du livre dans lequel Tariq Ramadan expose les principaux aspects de sa pensée, ce qui suit est la recension de cet ouvrage.)
Chaque livre qui décrit un monde que nous ne connaissons pas – ou très mal – exige de notre part une certaine dose d'efforts si nous désirons réellement en saisir l'essence. Dans son livre « Mon intime conviction » ( Éd. Presses du Châtelet, oct. 2009, 183 p.), Tariq Ramadan se propose de présenter les points essentiels de sa pensée. Il s'agit d'un ouvrage indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à cet auteur, mais qui n'ont pas vraiment le temps de lire la totalité de ses publications.
Il me semble opportun de commencer par deux avertissements. Cela devrait permettre d'éviter les écueils habituels lorsqu'on présente Tariq Ramadan.
  1. Ce livre n'aidera sans doute pas les personnes qui sont opposées au fait religieux à mieux saisir ce qu'elles abhorrent. L'auteur est croyant (musulman) et entend bien vivre d'une façon pleine sa religion, tout en étant un citoyen actif de ce monde en général et de la société occidentale en particulier. C'est cette attitude qu'il recommande également à ses compatriotes musulmans d'adopter. Ainsi, ceux qui appellent de leurs vœux un espace public vidé du spirituel risquent d'être agacés par la thèse de « Mon intime conviction. »
  2. Afin de comprendre la démarche de l'auteur, il faut tenter de prendre la place d'un croyant (dans son cas musulman, mais cela s'applique pour toutes les religions) qui constate l'incompatibilité de plusieurs aspects de sa religion avec les valeurs des sociétés dans lesquelles nous vivons.
Dans ce livre, l'auteur appelle les musulmans à s'impliquer dans tous les domaines de la vie : social, politique, éducatif, sportif... En même temps, ils leurs suggèrent de ne pas omettre leur croyance dans cette démarche. Ainsi, les musulmans occidentaux – qui représentent l'audience principale de Tariq Ramadan – doivent mener une « double vie » remplie de social et de spirituel. Si cela est possible, c'est que selon l'auteur, « les valeurs que ( l'Occident et l'islam) possèdent en commun sont plus importantes que leurs différences. »


L'auteur rappelle les deux principes de base de sa démarche : 1) respect par les musulmans des lois du pays dans lesquels ils vivent et pratique de sa langue ; 2) demander une application identique des lois à leur égard par leur État (en guise d'exemple, Tariq Ramadan s'oppose notamment à la loi du voile en France et à l'interdiction des minarets en Suisse. Dans les deux cas, il estime que ces lois ont été votées d'une façon discriminatoire à l'encontre des musulmans.)
Tariq Ramadan s'oppose ainsi aux minorités musulmanes qui favorisent une approche littérale des textes et qui rejettent dans leur ensemble les valeurs occidentales perçues comme étant « vides de religion » et « dénuées de morale. » Les leaders de ces minorités ont un respect aveugle pour les autorités qui légifèrent le droit islamique, tandis que l'auteur favorise une approche critique afin de tenir compte du contexte dans lequel nous évoluons.
Selon l'auteur, les concepts qui sont les fondements de l'Occident (liberté de conscience, laïcité, pluralité religieuse...) doivent être également ceux des musulmans qui y vivent. De plus, en ce qui concerne le droit des femmes et le féminisme, il estime que la femme est un être indépendant de l'homme et qui doit être maître de son propre sort (y compris celui de choisir d'être une musulmane croyante.)
La vision de Tariq Ramadan de la place des femmes dans nos sociétés est celle qui est partagée par le plus grand nombre d'occidentaux : libre accès à l'éducation, parité dans les salaires, combat contre toute forme de discrimination. D'autre part, si l'auteur possède un grand nombre d'opposants, c'est qu'il ne revendique pas pour autant l'abrogation pure et simple des châtiments corporels qui font partie de l'islam. Cette démarche peut se comprendre si l'on tient compte de sa volonté à ne pas briser les liens qui le lient à sa religion. Partant, c'est aux législateurs du droit islamique eux-mêmes qu'il leur demande de mettre fin à ces châtiments d'un autre âge.
Ceci est – selon moi – l'aspect le plus controversé de la pensée de l'auteur et qui est mal compris par une large audience en Occident. Lorsque nous attendons une dénonciation sans équivoque de comportements barbares, nous sommes face à un « moratoire » qui nous surprend. Pourtant, plutôt que de quitter la sphère musulmane – ce qu'on déjà fait de nombreux ex-musulmans – c'est bel et bien le droit islamique que Tariq Ramadan se propose de faire évoluer dans la bonne direction. En d'autres termes, plutôt que de s'exclure et de dénoncer, il préfère rester fidèle à sa foi et mener une révolution de l'intérieur.
En dénonçant l'auteur (comme le fait notamment Caroline Fourest), nous commettons une erreur singulière : celle qui consiste à reprocher à un musulman d'essayer d'inclure les valeurs occidentales dans le droit religieux musulman. Cette erreur s'explique par l'attitude négative envers les religions de certains partisans de la laïcité. Je pense que cela est regrettable et peu digne d'un débat qui doit être empreint du respect de l'Autre.
En guise d'exemple de cette attitude peu honorable, je pense à « l'accusation » de tenir un double-discours que Caroline Fourest a formulé à l'encontre de Tariq Ramadan et à sa « preuve » : une conférence dans laquelle l'auteur s'adressait à des hommes musulmans et leur recommandait de se rendre uniquement dans des piscines où les hommes étaient séparés des femmes (afin de ne pas voir celles-ci en maillots de bain, ce qui est interdit dans l'islam.)
La question est évidente : où se trouve le « double-discours » ? À quelle occasion Tariq Ramadan a-t-il dit qu'il n'était pas un musulman pratiquant ? Est-ce réellement étonnant qu'un musulman religieux parle à ses compatriotes des préceptes à respecter dans l'islam ? Personnellement, je trouve cela plutôt cohérent. Sauf si l'on rêve à l'interdiction de la religion dans nos sociétés, je ne vois aucune raison de s'offusquer devant un tel discours.
Pour conclure, la lecture de « Mon intime conviction » m'a permis de découvrir un islam « à la française » qui me permet d'entretenir des bons rapports avec tous les citoyens français musulmans qui s'y reconnaissent. Les dogmatiques d'une laïcité contraignante s'opposent certainement à Tariq Ramadan ; pour eux, il représente une menace : celle de ne pas faire disparaître dans la nature les musulmans qui ne renient pas leur religion. Dans leur cas, on peut dire que l'extrémisme fanatique n'est pas toujours là où on s'attend à le trouver.

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