jeudi 1 novembre 2012

Loi sur la fin de vie ? Je dis non


(Article écrit par Ben Mattlin, journaliste indépendant américain et auteur de « Miracle Boy Grows Up: How the Disability Rights Revolution Saved My Sanity. »
La semaine prochaine, les électeurs du Massachusetts voteront afin d'adopter la loi sur le suicide assisté. En bon libéral pro-choix, je devrais soutenir cet effort. Mais en tant que personne handicapée à vie, je ne peux pas.
Il existe de solides arguments en sa faveur. Personne ne sera contraint de prendre une pilule empoisonnée, les partisans insistent. Le « droit de mourir » s'appliquera uniquement à ceux qui ont six mois à vivre ou moins. Les médecins prendront en compte la possibilité d'une dépression névreuse... Il n’y a pas de risque nous dit-on.
Très bien, mais je reste sceptique. Il y a eu peu de preuves d'abus jusqu'à présent dans les États d'Oregon, de Washington et du Montana ; dans ces trois États la mort médicalement assistée est déjà légale. Cependant, l'abus - que ce soit entre conjoints, enfants ou envers les personnes âgées - est souvent négligé et la preuve est difficile à démontrer. Qui plus est, le Massachusetts a enregistré près de 20.000 cas de maltraitance de personnes âgées dans la seule année 2010.


Mon problème, finalement, est le suivant : j'ai vécu si près de la mort depuis si longtemps que je sais comment mince et poreuse est la frontière entre la coercition et le libre choix et combien il est facile pour quelqu'un, par inadvertance, à vous inciter à se sentir dévalorisé et sans espoir : faire pression sur vous un tant soit peu, mais tout en insistant pour que vous soyez « raisonnable », à alléger le fardeau de votre entourage, à « lâcher prise. »
Peut-être, comme les défenseurs du projet de loi le soutiennent, on ne peut pas comprendre la raison pour laquelle une personne désire que la loi pour suicide assisté soit votée jusqu'à ce que vous avez vu un être cher souffrir. Mais il faut également dire qu'on ne peut pas vraiment imaginer les nombreuses forces subtiles – toujours bien intentionnées, de bon cœur, très gentilles, mais aussi persuasives que le tsunami - qui font surface lorsque votre autonomie physique est irrémédiablement compromise.
Je suis né avec une maladie congénitale neuromusculaire appelée « amyotrophie spinale. » Je n'ai jamais marché ou pu rester debout ou utiliser véritablement mes mains. Environ la moitié des bébés qui naissent avec les symptômes que j'ai ne dépassent pas l'âge de deux ans. Non seulement ai-je survécu, mais l'évolution de ma maladie a considérablement ralenti quand j'avais environ 6 ans ; les médecins sont étonnants. Aujourd'hui, à près de 50 ans, je suis un mari, un père, un journaliste et un auteur.
Pourtant, je suis plus fragile aujourd'hui que je ne l'étais dans la petite enfance. Ne pouvant plus tenir un crayon, j'écris l'article que vous lisez avec un ordinateur à commande vocale. Chaque bouchée de nourriture, parfois chaque respiration, peut devenir une véritable bataille. De plus, il y a quelques années, lorsque à cause d'une erreur chirurgicale je me suis trouvé dans le coma, les médecins se sont sérieusement demandé s'il valait la peine d'essayer de prolonger ma vie. Ils pensèrent que mon existence semblait assez ténue de toute façon. Ils ne savaient rien à propos de ma famille, de ma carrière, de mes aspirations.
Heureusement, ils ont demandé à ma femme, qui sait exactement ce que je ressens. Elle les a convaincus à faire tout ce qu'il fallait faire et à me garder en vie en utilisant tous les moyens nécessaires.
De tout ceci j'ai appris combien il est facile d'être perçu comme quelqu'un dont la qualité de vie est insoutenable, même ou peut-être surtout par les médecins. En effet, je l'entends d'eux tout le temps : « Comment avez-vous survécu si longtemps ? Et bien, vous faites face à de nombreux problèmes ! » - même pendant les consultations de routine et même quand tout ce que je demandai, c'est un antibiotique pour une infection des sinus. Les autres personnes ne me traitent pas de cette façon, mais les médecins se sentent autorisés à rendre des jugements et d'exprimer leurs opinions. Pour eux, je suppose, je dois représenter un échec de leur profession. Pourtant je suis plus que mon diagnostic et mon pronostic.
Ceci n'est qu'une des nombreuses forces invisibles de la coercition. D'autres incluent un certain regard d'épuisement dans les yeux d'un être cher, ou la façon dont les infirmières et les amis soupirent en votre présence pendant que vous cloué sur un lit d'hôpital. Tous ces éléments peuvent jeter une ombre dangereuse de dépression sur même le plus joyeux des optimistes ; une situation que pourraient ne pas comprendre les cliniciens car, pour eux, cela semble tout à fait rationnel.
Et d'une certaine façon, cela est rationnel, étant donné le manque de solutions de rechange. Si personne ne vous veut à une fête, pourquoi devriez-vous y aller ? Les partisans de la loi sur la « mort avec dignité » qui disent que les patients eux-mêmes doivent décider de vivre ou de mourir fantasment. Qui choisit de se suicider sans être influencé ? Nous sommes inexorablement affectés par notre environnement. Les dés sont pipés.
Oui, cela peut paraître paranoïaque. Après tout, la proposition de loi de l'État de Massachusetts propose que la dose mortelle soit « auto-administrée », ce qui pourra alors être défini comme étant l'acte dans lequel le « patient à pris lui-même le médicament. » Vous pourriez vous demander comment cela pourra s'appliquer à ceux qui ne peuvent pas se nourrir – des personnes comme moi, par exemple. De plus, si je comprends la loi, il n'y a rien qui empêchera le patient de désigner une tierce personne pour qu'elle lui administre la pilule empoisonnée. En effet, il n'est pas nécessaire d'avoir une surveillance particulière de l'acte d'ingestion ; personne n'est obligé de voir comment et quand le médicament mortel est donné. À mon avis, cela laisse encore plus de place aux abus.
Certainement, il existe des nobles intentions derrière la « mort assistée » ; cependant, je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi nous sommes si pressés de garantir le droit de mourir avant d'avoir fait tout notre possible pour nous assurer que ceux qui sont atteints de maladies graves ou incurables reçoivent un bon accueil dans ce monde, la même ouverture d'esprit de respect et les mêmes opportunités que tout le monde.

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