dimanche 10 février 2013

Gaza : la mort du cinéma (1)


De lourdes dalles de béton bloquent les portes du cinéma Al-Nasr dans la ville de Gaza. Pas une seule petite ouverture existe à travers lequel nous pourrions voir l'intérieur de l'édifice, qui a été abandonné depuis des décennies. Ses murs imposants font de l'ombre sur la rue ; le bâtiment est noirci, souvenir d'un vieil incendie. Dans les années 1980, ces murs abritaient l'une des plus grandes salles de cinéma du Proche-Orient, mais maintenant, les nouvelles générations de la bande de Gaza vieillissent sans jamais avoir mis les pieds dans une salle de cinéma.
Des souvenirs de jours meilleurs
Certains dans la bande de Gaza se rappellent l'âge d'or du cinéma, où les différents établissements étaient en concurrence sérieuse pour attirer les clients. D'autres, cependant, voient cette période comme une de décadence avant le soi-disant réveil islamique .
Le producteur-réalisateur Khalil Almuzain, 49 ans, nous a déclaré à Al-Monitor : « Lorsque le cinéma est arrivé à Rafah, c'était comme si des feux d'artifice explosaient dans le quartier. Il n'y avait pas de télévision ni d'électricité à ce moment-là et les gens des villes se réunissaient autour d'une radio unique afin de l'écouter. Soudain, le monde du cinéma ouvrait ses portes pour nous. Pour un garçon pauvre d'un camp de réfugiés, ceci était une chose
extraordinaire. J'avais l'habitude de récupérer le cuivre sur les véhicules abandonnés par les Britanniques qui avaient été laissés à la frontière entre Rafah et l'Égypte et de le vendre à un prix bas pour que je puisse gagner suffisamment pour acheter un billet pour le cinéma. » C'était dans les années 1970.
En souriant, il ajoute : « Le premier film que j'ai vu au cinéma était "Celui que j'aime et celui que je veux". Il m'a transporté dans un autre monde, pas seulement moi, mais tous les enfants du camp de réfugiés Shabura. L'histoire était celle de deux hommes qui aimaient la même femme. La plupart des scènes avaient été filmées dans les parcs et jardins en Égypte et c'était un spectacle incroyable pour les gens des camps de réfugiés dont les maisons étaient la plupart du temps entourées par le sable, le béton et la brique. »
Almuzain se souvient que son père était entré avec fracas dans le cinéma al-Salam à Rafah à sa recherche pendant qu'on y projetait le film de 1978 « Sonia et l'homme fou ». Dans l'obscurité, son père l'appela en criant : « Khalil ! Khalil ! » Tandis que le public élevait la voix pour le faire arrêter d'appeler son fils, Khalil se laissa glisser sous son siège afin de se cacher. On interrompu la projection du film et Khalil dut fuir par la porte arrière du cinéma en craignant le châtiment que son père lui réservait. De fait, son père finit par l'attacher à un arbre et à le frapper, menaçant de divorcer d'avec sa mère, si jamais il retournait de nouveau au cinéma.
Muhammad Aeraar, directeur des relations publiques et étrangères au ministère de la Culture à Gaza, se souvient du cinéma d'une façon différente que celle d'Almuzain. Aeraar nous a dit : « Lorsque j'étais jeune, je me tenais devant les portes du cinéma à Gaza avec mes amis, mais je ne suis jamais entré. L'occupation israélienne est toujours présente alors devant les portes du cinéma il y avait des jeux de pari et des combats au couteau ; la corruption sur l'écran faisait son entrée dans la société. »


L'histoire du cinéma dans la bande de Gaza
Aucune étude à propos de l'histoire du cinéma à Gaza existe, à l'exception de quelques anecdotes qui sont restées présentes dans les esprits de certains Palestiniens, ou de celles qui se sont transmises de bouche à oreille. D'après ce qu'il est possible de savoir, la plupart des sources s'accordent à dire que le premier cinéma dans la bande de Gaza ouvra ses portes en 1944, lorsque Rashad Shawa obtint une licence pour ouvrir le cinéma al-Samer. Il acheta un immense drap blanc dans la ville palestinienne de Majdal, de l'équipement cinématographique en Europe et commença à transporter les films – en train – depuis l'Égypte. La foule étaient nombreuse qui venait assister aux projections et tentait de rester attentive tandis les avions survolaient la région pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le célèbre acteur Farid al-Atrache et sa sœur, la chanteuse Asmahan, visitèrent ce cinéma, qui était rempli de gens désireux de les voir. En 1948, l'Office de secours et de travaux des Nations Unies commença à projeter des films destinés au public réfugié à l'aide de projecteurs mobiles. Les employés de l'office transportaient ces cinémas-sur-roues dans les différents camps de réfugiés et projetaient des films sur l'hygiène personnelle et la santé. Il est dit que l'idée de cinéma mobile fut introduite à Gaza par l'Égypte, qui montrait à son armée des films égyptiens pour l'entraînement avec l'inscription « Convoi d'informations » écrite sur chaque côté des camionnettes.
En 1953, le cinéma Al-Nasr s'agrandit pour atteindre la superficie de 3 000 mètres carrés. Le nombre de salles de cinéma continua à augmenter dans la bande de Gaza, en particulier dans les années 1970 ; à cette époque, on dénombrait 10 cinémas. On peut citer notamment les cinémas : al-Nahda, al-Salam et al-Sabrin à Rafah ; al-Huriyya à Khan Younis ; al-Nasr, al-Gilaa et al-Amer dans la ville de Gaza, en plus de cinéma al-Samer qui fut fermé en 1969. La plupart des films projetés venaient d'Égypte jusqu'à l'occupation israélienne, qui débuta en 1967. Par la suite, les films venaient d'Israël. Dans les années 1970, il existait une véritable concurrence entre les différents cinémas, mais les années 1980 on assista au développement de l'opposition des mosquées contre ces cinémas.Certaines salles de cinéma furent détruites et d'autres définitivement fermées.
Almuzain, qui a réalisé un film intitulé « Gaza 36mm », nous a déclaré : « L'incitation religieuse contre ces cinémas commença très tôt avec la montée de l'islam politique et de sa lutte contre les laïques et les gauchistes. Par conséquent, les groupes politiques islamiques se concentrèrent sur le changement social dans les années 1970 et montrèrent leur force dans les années 1980 en brûlant certines salles de cinéma et en changeant d'autres en des clubs de réunion et des salles de mariage. En outre, l'avènement de la télévision à cette époque réduisit l'intérêt pour le grand public à se rendre dans les salles de cinéma. »
À suivre...
Asmaa al-Ghoul

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