mercredi 31 octobre 2012

Ma station-service palestinienne (1)


J'avais fini ma journée de travail, mais avant de reprendre l'autoroute en direction de Jérusalem, je devais faire le plein d'essence. Ce fut donc avec joie que j'aperçus une station-service. Après être passé à la pompe, j'entrai dans la boutique afin de payer. Celle-ci était de taille plutôt réduite, mais remplie de jeunes gens d'environ vingt à trente ans. Tous semblaient être préoccupés à lire les étiquettes et les prix de bouteilles d'alcool fort : vodka, whisky, cognac...
Pendant que j'essayai de me frayer un chemin pour atteindre la caisse, j'entendis soudainement un grand remue-ménage. En quelques secondes, toutes les bouteilles avaient été remises sur les étagères et la boutique se vida presque entièrement. Entra ensuite un homme d'une cinquantaine d'années, habillé en djellaba. Lui aussi avait fait le plein d'essence et devait payer ; il le fit sans prononcer un mot. Je le vis remonter dans son véhicule et quitter les lieux ; quelques secondes plus tard, la boutique fut de nouveau remplie des mêmes jeunes gens. La valse des bouteilles d'alcool reprit de plus belle.
Avec mon hébreu plus qu'approximatif, je demandai au caissier quelle pouvait bien être la raison du spectacle étonnant auquel j'avais assisté. Celui me répondit : « Ces jeunes gens sont musulmans et ils choisissent ce qu'ils boiront ce soir entre amis. La personne qui est entrée tout à l'heure est l’imam du village arabe voisin et il n'aurait certainement pas approuvé le comportement de ces jeunes gens : selon l'islam, il est interdit de consommer de l'alcool. »


De fait, je me trouvais dans les territoires occupés et la route était bordée de villages arabes. Dans aucun de ces villages il était possible de se procurer de l'alcool et les jeunes gens qui désiraient en boire devaient se rendre à la station-service la plus proche – dont le patron était juif – qui offrait un large éventail de bouteilles d'alcool fort. La boutique était tellement remplie de ces bouteilles que je ne suis pas certain de pouvoir qualifier le lieu comme une « station-service dans laquelle on vend de l'alcool » ou une « boutique de spiritueux dans laquelle on peut faire le plein d'essence » !
Cet épisode a maintenant un peu plus d'une année. À cette époque, j'ai passé environ trois mois à parcourir la même région des territoires occupés et à rencontrer les personnes que mon travail exigeait que je rencontre. Presque chaque fin de journée, avant de reprendre la route en direction de Jérusalem, je pris l'habitude de m'arrêter dans la même station-service. Nous étions en été et le climat incitait à boire un verre avant de reprendre la route. Deux tables – accompagnées de leur parasol – avaient été intelligemment mises à côté de la boutique et je devins un habitué de l'endroit.
Assis entrain de boire un coca, j'eus l'occasion pendant ces quelques mois de discuter avec plusieurs dizaines de personnes, la majorité d'entre elles étant des palestiniens. Loin des médias, des « messages » à faire passer et des situations qui ne se prêtent guère au dialogue véritable, j'ai reçu ma plus belle histoire du conflit israélo-palestinien. Plus tard dans la soirée – après avoir rejoint Jérusalem – je notais sur un cahier les discussions que j'avais eues.
La perception que j'avais de ce conflit en fut grandement affinée. En Israël, les contacts se font d'une façon naturelle et les rires égrainaient régulièrement nos échanges. Ce que j'ai entendu, je ne l'ai trouvé dans aucun livre d'histoire, ni lu dans aucun forum. Les personnes à qui j'ai parlé provenaient de différents milieux : pauvres, aisés, riches. À l'exception de quelques-unes, toutes partageaient le même espoir : que la paix s'installe entre juifs et arabes et que tous puissent vivre en bons voisins.
Le matériel dont je dispose est merveilleux ; j'ai même pensé à le publier sous forme de livre. Pourtant, cela ne se fera pas. On jugera mes histoires comme étant « pro-israéliennes », pas assez « dures envers l'occupant »... La vérité est que je n'ai pas ajouté un seul mot à ce que j'ai entendu de la bouche des palestiniens qui me parlaient. Les élites politiques palestiniennes sont bien éloignées de l'intérêt de leur peuple. Du Hamas qui mène une guerre sainte afin de débarrasser la terre arabe de la présence juive, à l'Autorité palestinienne qui est corrompue de la tête au pied, les individus à qui j'ai parlé ont bien peu d'avocats.
Au Québec, ce sont les leaders politiques qui parlent souvent de la future indépendance du Québec et du « combat » entre francophones et anglophones. À la base, la population se fiche de ces discours et vit bien ensemble. Dans les territoires occupés, les leaders politiques s'intéressent à bien des choses, mais pas trop au bien-être de la population. Un jour, peut-être, je raconterai tout ce que j'ai entendu.                 
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mardi 30 octobre 2012

Le Hamas et les palestiniens


Regardez bien la vidéo ci-dessous. Elle montre des missiles que le Hamas envoie en direction des populations civiles israéliennes. Notez que ces missiles sont envoyés d'un endroit résidentiel. Non seulement cela est interdit par le droit international, mais le Hamas le fait en sachant qu'une riposte israélienne - qui désirerait détruire les rampes de lancement - causerait sans le moindre doute la mort de civils palestiniens innocents.


C'est exactement ce qui s'est passé - des centaines de fois - pendant la guerre da Gaza. Pour chaque riposte israélienne à des tirs de missiles du Hamas qui tuait des civils palestiniens, nous devons poser la question au Hamas : "Pour quelle raison tirez-vous depuis des zones résidentielles ?"
Le nombre élevé des victimes palestiniennes durant ce conflit s'explique par l'irresponsabilité du Hamas. Pour quelle raison les militants palestiniens ne dénoncent pas ce comportement ?
Ci-dessous, vous pouvez entendre le témoignage d'une jeune femme palestinienne qui était à Gaza pendant la guerre. 


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dimanche 28 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (5)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article est la deuxième partie d'un texte dans lequel je  présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.) Pour lire la quatrième partie, cliquez ici.
Avant de conclure son ouvrage, Tariq Ramadan dresse une liste de groupes de personnes qui sont à l'origine de la méfiance de certains médias et individus à son encontre et qui le fait souvent qualifier d'intellectuel controversé. .
Les laïques dogmatiques (typiquement français, ces individus craignent le « retour de la religion » avec la présence des musulmans). Tariq Ramadan regrette qu'une déclaration telle que « forcer une femme à porter un voile s'oppose à l'islam et forcer une femme à l'enlever s'oppose aux droits de l'homme » ne puisse pas être consensuelle (p. 98).


L'extrême-droite. La nouvelle présence de musulmans dans l'Ouest est évidemment une cible pour les partis politiques les plus nationalistes, chauvins et racistes. Ce qui est encore plus inquiétant est que le discours anti-musulman utilisé régulièrement par les politiciens et intellectuels de l'extrême-droite est de plus en plus répété par des partis politiques plus traditionnels de la droite et de la gauche (p. 100).
Certains groupes féministes. Ces groupes s'inquiètent de l'apparition de femmes qui portent le voile et du retour de la religion, réputé s'opposer aux femmes, à leurs statuts et leur autonomie. Si certains groupes ont lié des liens avec des organisations musulmanes – afin de trouver les points communs entre leur lutte et celles des femmes musulmanes qui s'opposent à une vision trop littérale de leur religion – d'autres ne peuvent accepter de telles alliances et s'opposent à l'islam, comme ils s'opposent à toutes les religions (p. 101).
Certains groupes homosexuels. Leurs raisons de s'opposer à l'islam s'explique par l'opposition connue de l'islam – comme les autres religions – à l'homosexualité. D'autre part, certains groupes islamistes peuvent certainement être qualifiés homophobes en entendant leurs discours. Cependant, Tariq Ramadan s'oppose à ces discours homophobes car le plus important consiste à respecter chaque être humain, même si on n'approuve pas son comportement (p. 103).
Groupes pro-israéliens et néo-conservateurs. L'auteur s'oppose à l'antisémitisme et déclare que l'antisémite est anti-islamique. De plus, il dénonce le discours à l'encontre des juifs qui est prononcé dans certains cercles musulmans, même s'ils se justifient en se servant du conflit israélo-palestinien et de l'oppression israélienne contre les palestiniens. Em même temps, Tariq Ramadan rappelle que s'opposer à la politique de l'État d'Israël n'équivaut pas à de l'antisémitisme (105).
Certains États arabes et de l'Ouest. Certains États arabes ont peur lorsqu'on critique les dictatures, le manque de démocratie, la torture... Ces États répandent des rumeurs contre leurs opposants et n'hésitent pas à utiliser leurs ambassades afin de surveiller les éventuels « suspects » (p. 107).
Certains groupes salafistes et ancien musulmans. Le plus souvent, les groupes salafistes (traditionalistes) adoptent un discours très sévère contre les mouvements réformateurs. D'autre part, certains anciens musulmans ont certainement vécu des moments difficiles dans certaines communautés musulmanes. Si certaines de leurs critiques sont justifiées, d'autres ne servent qu'un objectif : émettre des doutes à propos de l'islam.
Fin de la recension.
(Dans le prochain article, je détaillerai mon avis personnel sur cet ouvrage de Tariq Ramadan et plus généralement, sur la pensée de cet intellectuel.)
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mercredi 24 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (4)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article est la deuxième partie d'un texte dans lequel je  présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.) Pour lire la troisième partie, cliquez ici.
Selon Tariq Ramadan, si l'on parle beaucoup des musulmans à notre époque, c'est en partie à cause de la volonté européenne de les définir comme une entité différente : culturellement et spirituellement. Cette volonté historique se heurte de nos jours à une visibilité plus importante qu'il y a quelques années et par les problèmes sociaux qui sont identifiés – à tort – comme d'origine ethnique (p. 81). 
L'auteur estime que l'esprit européen a toujours souhaité effacer la contribution des intellectuels et des scientifiques musulmans au projet européen. Cette tentative d'élaboration identitaire est mise à mal aujourd'hui, lorsque la présence des citoyens musulmans devient plus visible et s'ajoute à l'immigration toujours réelle en Europe : la peur de la pluralité religieuse et culturelle amène à un repli sur soi réducteur et regrettable (p. 82).
Selon l'auteur, « l'Europe et l'Ouest ne peuvent pas survivre s'ils continuent de se définir eux-mêmes en termes d'exclusion et en opposition à un Autre – l'islam ou les musulmans – dont ils ont peur. » Ainsi, l'Europe doit accepter sa diversité – héritage du passé – et se projeter vers l'avenir en faisant des musulmans des citoyens comme les autres.


De leur côté, les musulmans ne doivent pas viser seulement leur « intégration », mais prendre conscience de leur contribution importante à l'édification européenne. Les musulmans qui y résident doivent réaliser qu'ils partagent en fait les mêmes valeurs que les citoyens européens et de l'Ouest (p. 84). 
À propos de l'islam, Tariq Ramadan suggère une « réforme radicale » afin d'ouvrir les débats sur les fondements de cette religion. Il remet en cause les catégorisations et les méthodologies originelles et suggère une démarche qui aboutirait à une réforme créative de transformation (p. 85).
En ce qui concerne la diversité en Europe, l'auteur note qu'elle est une réalité et que les sociétés européennes doivent le réaliser et construire un nouveau futur basé sur la volonté politique, un projet commun pour la société et une véritable « philosophie du pluralisme » (p. 90).
Si cette démarche ne se réalise pas, ce sont alors les principes essentiels de la démocratie qui seront mis en danger, avec les avancées du pluralisme politique dans lesquels l'Ouest tire sa fierté. En d'autres termes, il s'agit de sauver « l'âme de l'Europe » (p. 91).
Tariq Ramadan rappelle que l'immense majorité des musulmans respectent les lois du pays dans lequel ils vivent, qu'ils parlent la langue commune et qu'ils s'impliquent dans tous les domaines de la société : intellectuels, sociaux, politiques... Pourtant, un sentiment d'insécurité croît au sein des sociétés qui pensent que les jeunes musulmans ne s'intègrent pas et que l'islam est réellement le problème (p. 92).
Cette différence – entre la réalité et l'opinion publique – s'explique par le rôle des médias qui se concentrent uniquement sur les discours extrêmes et les situations les plus critiques. Qu'il s'agisse des attentats terroristes, de l'intervention publique d'ex-musulmans, de films opposés à l'islam, de caricatures... le rejet des musulmans par la société ne peut être que la conclusion logique de l'importance démesurée qu'on leur accorde (p. 93).
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mardi 23 octobre 2012

La pensée libérale par Raymond Aron


(Extrait d'un discours prononcé par Raymond Aron le 18 novembre 1969)
Le libéralisme, tel que nous l'entendons, ne se réduit pas à la défense et à l'illustration de la libre entreprise et des mécanismes du marché. La pluralité des centres de décision, la fonction jusqu'à présent irremplaçable du mécanisme des prix représentent des modalités institutionnelles, dont l'expérience a confirmé la valeur, d'une conception de la vie collective, de l'existence humaine.
Conception que les uns taxent de pessimiste et que je juge optimiste ; conception pessimistes aux yeux des utopistes qui, prêts à donner leur cœur et leur vie à un parti, à un chef, à une révolution, nous reprochent de leur rappeler la retombée fatale de la mystique en politique et le risque de la tyrannie totale au nom de la libération intégrale.
Mais notre pseudo- pessimisme s'accompagne en vérité d'un acte de foi : nous acceptons le risque des libertés et de la démocratie, nous faisons le pari qu'en dépit de tout, la discussion permanente n'interdira pas la paix civile, que la contradiction des intérêts particuliers laissera se dégager des décisions compatibles avec le bien de la nation.


Nous préférons le désordre et le tumulte des sociétés libres au calme apparent des régimes où les détenteurs du pouvoir suprême prétendent détenir la vérité et imposent à leurs citoyens-sujets une discipline de pensée et de parole en même temps que d'action.
Nous choisissons les sociétés dans lesquelles l'opposition passe pour un service public et non pour un crime. Préférence et choix qui me paraissent témoigner d'un optimisme fondamental, ou, en tout cas, d'un courage raisonné.
La pensée libérale, ainsi conçue, sans illusion mais non sans volonté, sans perspective du paradis sur terre, mains non sans espoir d'améliorer peu à peu, à travers les luttes des individus et des partis, le sort du plus grand nombre, la pensé libérale appartient-elle déjà au passé ? Est-elle condamnée, comme d'aucuns le prétendent, par le mouvement des idées et des évènements ?
Je ne nie pas les faits, le progrès, dans la communauté intellectuelle et universitaire, des idées marxistes ou pseudo-marxistes, le pullulement des actions étatiques qui, trop souvent, faussent es mécanismes du marché sans atteindre les objectifs visées. Seuls connaissent vraiment le prix des libertés quotidiennes ceux qui souffrent de les avoir perdues. Mais ces libertés, elles demeurent pour nous autres français, l'air que nous respirons, l'âme de notre existence.
Je ne désespère pas, ou, plus exactement, je me refuse à l'attitude du spectateur pur. Je me veux engagé et combattant (...)      
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Et le blocus égyptien à Gaza ?



Elle est belle cette photo. À gauche : Ismaïl Haniyeh, premier ministre Hamas à Gaza. À droite, l'Émir du Qatar reçu aujourd'hui en grande pompe à Gaza. Au milieu : les militaires qui gardent la frontière entre l'Égypte et Gaza. Car oui : il existe bien une frontière entre l'Égypte et Gaza.
Attendez ! S'il existe une frontière entre l'Égypte et Gaza, pour quelle raison le blocus d'Israël devrait-il embêter Gaza ? Les échanges devraient donc être libres entre l'Égypte et Gaza ; entre frères.
Si le blocus d'Israël embête Gaza, c'est que la frontière entre l'Égypte et Gaza et également fermée.
Mais si elle est fermée, pour quelle raison les groupes qui militent pour la cause palestinienne n'envoient-ils pas des flottilles contre l'Égypte afin de protester contre cette injustice?
De ceux qui embêtent les palestiniens, leurs militants aiment bien dénoncer Israël, Israël et seulement Israël. On se demande pourquoi !
Un conseil : la prochaine fois que vous entendrez une personne dénoncer le blocus israélien, demandez-lui ce qu'elle pense du blocus égyptien.    
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lundi 22 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (3)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article est la deuxième partie d'un texte dans lequel je  présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.) Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.
Un sujet sur lequel Tariq Ramadan est régulièrement interrogé est celui de la place des femmes dans l'islam. Selon lui, si « l'islam n'a aucun problème avec les femmes, les musulmans semblent réellement avoir de sérieux problèmes avec elles » (p.62). 
L'auteur distingue deux courants principaux de pensée : le premier qui favorise une lecture littérale des textes saints, qui possède une vision patriarcale de la femme et qui définit le rôle de celle-ci par rapport au rôle qu'elle doit tenir face à l'homme. Le deuxième courant de pensée – qui correspond à l'approche réformiste – dépasse le contexte historique des textes afin de définir la femme comme un être indépendant de l'homme et qui doit être maître de son propre sort (p. 63).
Tariq Ramadan affirme que le discours islamique sur les femmes a été largement influencé par des cultures patriarcales et que certaines pratiques – qui n'étaient pas islamiques – sont devenues habituelles et acceptées : excisions, mariages forcés, crimes d'honneur. L'auteur s'oppose à ceux qui essaient de trouver une justification religieuse pour de tels comportements et estime que dans ces cas, « le message originel a été trahi » car ces pratiques sont « opposées à l'islam » (p. 64).
L'auteur favorise une implication importante des femmes dans la vie sociale et estime qu'elles sont dans leurs droits lorsqu'elles demandent un accès libre à l'éducation, la parité dans les salaires, qu'elles militent contre la discrimination dans le monde du travail. Qu'on appelle ce combat le « féminisme » (concept auquel ne s'oppose pas Tariq Ramadan) ou plus simplement le combat pour des droits légitimes, il est – selon l'auteur – primordial à ses yeux (p. 65).


Ce combat pour la liberté de la femme doit être mené, même s'il aboutit à ce que les femmes puissent faire des choix qui ne seront pas toujours compris par les hommes. Cette lutte doit permettre aux femmes d'atteindre leur autonomie et leur liberté d'action (p. 66).
L'auteur aborde le sujet de l'intégration des populations musulmanes issues de l'immigration. Il note qu'après plusieurs générations passées dans un même pays, on devrait dépasser le discours sur l'intégration des musulmans qui renvoie toujours à une différence et à la notion du « eux » contre « nous » (p. 68). Plutôt, il préfère une approche plus globale.
Ainsi, c'est l'histoire officielle de chaque pays qui doit intégrer les mémoires multiples de ses citoyens (nouveaux et anciens) ; à cette fin, il est important de faire mention de leurs passé, leur richesse culturelle et intellectuelle, de valoriser leur présence et ce qu'ils apportent à leur pays... Tout cela doit servir un seul objectif : faire que les musulmans se sentent entièrement chez eux au sein des sociétés dans lesquelles ils évoluent (p. 69).
C'est au niveau local – selon Tariq Ramadan – que ce sentiment d'appartenance peut se développer le plus facilement. Les initiatives municipales dans les domaines du marché de l'emploi, des médias, des relations entre les différentes religions... doivent donc être mis de l'avant. De fait, les tensions qui mettent l'accent sur des communauté spécifiques et qui font souvent la une des journaux ne se retrouvent pas au niveau local (p. 71).
Les musulmans également doivent êtres actifs dans ce domaine. De fait, l'auteur suggère à ses compatriotes d'apprécier à sa juste valeur la langue (qu'ils doivent savoir parler), la culture et les lois du pays dans lequel ils vivent. D'autre part, les discours tenus dans les mosquées doivent permettre aux musulmans de se sentir à l'aise en étant musulmans et citoyens de leur pays (p. 73).
L'auteur aborde le sujet des discriminations dont sont victimes les musulmans. Pour lui, s'il ne fait aucun doute qu'ils sont des victimes, ils ne doivent pas pour autant adopter une mentalité qui va de pair. Plutôt, ils doivent s'affirmer et s'assurer que leurs droits sont respectés (p. 75).
Cette lutte est rendue difficile à cause de la classe politique qui manque du courage nécessaire afin de réaliser les véritables réformes qu'elle devrait. Obsédés par la date des prochaines élections, les politiciens donnent un aspect culturel ou islamique à de nombreux problèmes qui, en réalité, sont simplement sociaux (p. 75).
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dimanche 21 octobre 2012

Pause des lapidations de femmes ?


Une des questions importantes lorsqu'on s'intéresse à la pensée de Tariq Ramadan consiste à comprendre sa position par rapport à certains aspects de la justice islamique que nous considérons inhumains : lapidations, section de membres, condamnation à mort pour homosexualité...
L'affaire avait fait grand bruit en France. Tariq Ramadan discutait avec Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur à cette époque. Lorsque le ministre s'enquit de l'avis de Tariq Ramadan à propos de la lapidation des femmes dans l'islam, celui-ci répondit qu'il était favorable à un « moratoire. » Je vous propose d'écouter cet échange :


Nombreux ont été ceux qui furent choqués par les propos de Tariq Ramadan. Pour quelle raison ne demandait-il pas tout simplement l'annulation pure et simple d'une mesure aussi barbare que celle-ci ? Comment ne pas s'opposer de toutes ses forces à une attitude digne du Moyen-Âge ?
Lors d'une émission télévisée subséquente, Tariq Ramadan s'expliqua brièvement (21:40 mn.). Je vous propose de l'écouter :


D'une façon plus développée que ces quelques mots, je vous propose mon explication de l'attitude de Tariq Ramadan. Celle-ci est le fruit de mes recherches à propos de cet auteur et n'est pas forcément fermée à une évolution, en fonction de ce qui me reste encore à lire des ouvrages de cet écrivain.
Tariq Ramadan se déclare musulman croyant et pratiquant. Partant, il donne un aspect divin au Coran et aux paroles de ceux qui se déclarent comme prophètes. Ceci est important à réaliser : un texte divin ne peut être réformé, modifier ou simplement annulé. En même temps, Tariq Ramadan s'oppose à la lapidation des femmes. Alors ?
Le seul choix qui s'offre à Tariq Ramadan est celui-ci : plutôt que de demander une annulation des lapidations (ce qui ne peut être fait par aucune autorité religieuse), il préfère y mettre un terme en les déclarant « inapplicables. » L'idée d'un moratoire permettrait de suspendre ces mesures d'un autre âge et de reconnaître que nos sociétés ne peuvent plus admettre ce type de justice.
Le moratoire pourrait être formulé de différentes façons, mais l'idée maîtresse serait d'admettre qu'il est actuellement impossible de lapider des femmes et que cette situation devrait changer lorsque les sociétés admettraient de nouveau de telles punitions.
En se prononçant pour un moratoire, les législateurs islamiques ne s'opposeraient pas de plein fouet avec leurs écritures saintes ; en même temps, ils mettraient fin à un des aspects les plus inhumains de la justice islamique.
J'ajoute que même si mon article fait référence seulement à la lapidation des femmes, Tariq Ramadan s'est opposé maintes fois aux punitions corporelles au nom de l'islam (voir vidéo ci-dessous). Sa position et ma conclusion peuvent donc s'appliquer au-delà des lapidations.


Même s'il n'y fait pas référence, la position de Tariq Ramadan me fait penser à l'attitude adoptée par les autorité religieuses juives... il y a presque deux mille ans. De fait, à une époque ou les tribunaux rabbiniques constataient que l'effet de dissuasion des punitions corporelles diminuait fortement, ils décidèrent d'y mettre fin. C'est pour cette raison que la justice juive n'applique plus les punitions sévères inscrites dans la Bible. On peut souhaiter à Tariq Ramadan de parvenir au même résultat.       
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vendredi 19 octobre 2012

Une laïcité pour le citoyen... tous les citoyens


Pousser l'autre dans un coin ; le pousser pour qu'il se sente étranger, malvenu. Pointer du doigt celui qui ne pense pas comme nous – dans les domaines qui nous dérangent et nous interpellent – et ne parle pas, ne s'habille pas, ne croit pas... comme parlaient, s'habillaient et croyaient nos parents et nos grands-parents.
Cerner « le problème » afin de l'identifier et assurer le monde de notre bonne foi en proclamant que « le problème, c'est lui ! » Poursuivre nos réflexions et « évoluer » d'une façon qui ne modifiera en rien notre façon de faire, d'agir et de vivre.
Il existe une multitude de processus qui permettent de dire à l'Autre que nous ne l'aimons pas. La façon directe (« Je ne t'aime pas ! ») est rarement acceptable en public, en politique. Alors, nous agissons de la sorte à aboutir à nos fins, sans l'avouer honnêtement.
Lors des débats à l'Assemblée Nationale qui précédèrent le vote sur la loi contre le port du foulard dans les écoles, les mots « arabes » ou « islam » ne furent pas prononcer une seule fois. Tous et toutes savaient pourtant très bien qui il était question de viser par cette loi : les femmes musulmanes. Celui qu'on n'aime pas avait disparu dans le discours, même si on ne parlait que de lui.
On juge les démocraties sur l'attitude de la majorité par rapport à la minorité. C'est pour cette raison que le printemps arabe nous inquiète. D'une part, nous devons accepter sans difficulté le choix des sociétés arabes à choisir leur chemin, même s'il s'avère très différent du nôtre. En même temps, nous devons garder un oeil attentif sur le traitement des personnes de ce pays qui ne s'identifient pas aux choix de la majorité : minorités religieuses, arabes non croyants ou non pratiquants...
En France, la religion d'un individu ne devrait jamais être présentée comme étant un problème. Entrer dans les écoles publiques la tête nue, avec une kippa ou un foulard, ne devrait pas être interdit. Ce qui devrait l'être – et l'est déjà – c'est la violence, le racisme, l'antisémitisme. Au-delà, chaque individu devrait vivre comme il ou elle l'entend, sans limite aucune.


La laïcité de l'État est une avancée merveilleuse aussi longtemps qu'elle permet à chaque individu de vivre pleinement sa vie d'athée ou de croyant. En Arabie Saoudite, les jeunes filles ont l'obligation de se couvrir la tête pour aller à l'école. Quelle stupidité ! Que penser de la France où elle sont obligées d'avoir la tête découverte ? Dans les deux cas, la majorité impose sa volonté d'une façon malvenue et ridicule. Dans les deux cas, on pointe l'Autre en lui disant que nous ne voulons pas de lui.
La laïcité doit être celle des institutions de l'État qui : 1) ne doit recevoir ses ordres d'aucune autorité religieuse et 2) ne doit favoriser aucune religion par rapport à d'autres. La limite est dépassée lorsqu'on milite pour la laïcité de l'individu : une femme musulmane ne peut pas se rendre dans les écoles publiques françaises, un étudiant juif ne peut pas se rendre à un examen de fin d'année... car programmé un samedi...
Il est important d'assurer la laïcité de l'État, mais il est cruel de favoriser la laïcité des individus. Il est primordial qu'un juif et un musulman croyants en Dieu puissent être élus à l'Assemblée Nationale et même au poste le plus élevé de notre République, mais il est tout aussi important que leurs enfants puissent se rendre dans nos écoles.
La France n'est plus remplie à 99% de chrétiens. La réalité du monde moderne peut déranger certaines personnes, mais elle ne s'honorent pas à vouloir poser des obstacles dans la vie des personnes qui ne leur ressemblent pas. La France appartient à ses citoyens, à tous.
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mercredi 17 octobre 2012

Bientôt la reprise des négociations ?


Le Président de l'Autorité Palestinienne – Mahmoud Abbas – a envoyé (le mardi 16 octobre) une lettre au Président américain Barack Obama dans laquelle il affirme son attachement au principe des deux États (Israël aux côtés de la Palestine) (agence WAFA.)
Dans cette lettre Mahmoud Abbas signale que les palestiniens sont prêts à retourner à la table des négociations le jour où ils obtiendront le statut de « non-membre » à l'Organisation des Nations Unies.


Actuellement, les palestiniens possèdent seulement le statut d'« observateur » au sein de l'organisation et leur demande – en septembre 2011 – afin d'obtenir celui de membre à part entière (comme cela est le cas pour chaque pays) a échoué à obtenir le feu vert du Conseil de Sécurité.
De fait, le statut de « membre » est obtenu par un pays lorsque le Conseil de Sécurité de l'ONU vote en sa faveur. Ce conseil est composé de quinze membres : cinq permanents pourvus du droit de veto (ChineÉtats-UnisFranceRoyaume-UniRussie) et dix élus pour une durée de deux ans (renouvelés par moitié tous les ans).
Cependant, obtenir le statut de « non-membre » est possible après un vote de l'Assemblée Générale de l'organisation (c'est-à-dire l'ensemble des pays membres) dans lequel une simple majorité est obtenue. Les palestiniens ont déjà reçu l'appui de la majorité des membres de l'ONU si un tel vote était organisé.
Les États-Unis s'opposent à ces démarches. Washington estime que les palestiniens doivent négocier avec les israéliens, ce que Mahmoud Abbas refuse de faire depuis septembre 2010. Si les États-Unis détiennent un droit de veto au Conseil de Sécurité, cela n'est pas le cas à l'Assemblée Générale.
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Forte hausse des exportations depuis Gaza !


(La situation à Gaza n'est pas forcément celle d'un camp de concentration.)
La légalité du blocus a été reconnue par la Commission Palmer nommée par l’ONU le 2 septembre 2011. Ce rapport affirme que le blocus maritime de Gaza est une mesure de sécurité en conformité avec le droit international. Le Hamas et les autres organisations terroristes implantées dans la bande de Gaza utilisent notamment la mer afin d’organiser le trafic d’armes. Le blocus maritime, selon ce que prévoit le droit international, permet de prévenir l’entrée de navires dans les ports contrôlés par l’ennemi (dans ce cas, il s’agit du Hamas et des autres organisations terroristes palestiniennes), ainsi que le départ de navires depuis ces ports.
Ce blocus maritime n’a aucune incidence sur la quantité de marchandises et d’aide humanitaire transférées vers la bande de Gaza. Les cargaisons destinées aux habitants de la bande de Gaza transitent quotidiennement par le biais des points de passage terrestres. En fait, depuis 1967, aucune marchandise n’est parvenue à la bande de Gaza par voie maritime. Par conséquent, le blocus imposé depuis janvier 2009 n’a aucunement affecté la manière et la fréquence de transfert de marchandises vers la bande de Gaza.
L’armée israélienne, et particulièrement l’unité de coordination des activités gouvernementales dans les territoires assurent quotidiennement le transfert de plusieurs milliers de tonnes de marchandises vers la bande de Gaza ainsi que le passage d’une centaine d’hommes d’affaires palestiniens de la bande de Gaza vers Israël. Par ailleurs,  des milliers de palestiniens ont été autorisés à entrer en Israël, notamment pour recevoir des soins médicaux, pour assister à des conférences et à des séminaires professionnels, pour rendre visite à des proches, ou encore à l’occasion des fêtes religieuses
Des dizaines de fermiers palestiniens et des représentants de la communauté internationale ont assisté à des conférences afin d’améliorer le processus d’exportation de marchandises depuis la bande de Gaza qui ont eu lieu dans les bureaux de l’Administration de Coordination de Liaison et aux postes frontières en novembre 2011.

(Exportateurs de la bande de Gaza) 
176 projets économiques et sociaux dans la bande de Gaza ont été approuvés, dont 70 sont déjà en cours de réalisation et de nombreux autres déjà achevés. Ainsi, au cours du trimestre dernier, 1918 nouveaux logements ont été construits. La modernisation de six hôpitaux et la construction de sept cliniques supplémentaires a débuté. Enfin, la construction ou la rénovation de 57 écoles et crèches est en cours.
Plusieurs projets visent à résoudre des problèmes d’infrastructure ont également été approuvés : 27 concernent le traitement des eaux usées, 18 projets portent sur la construction de serres et de chambres froides pour fruits et légumes afin de favoriser l’agriculture. Au cours de cette année, les Palestiniens de Gaza ont exporté 399 tonnes de fraises,  6.5 tonnes de tomates cerises et 6 tonnes de poivrons vers les marchés européens. Les prévisions pour l’an prochain montrent une nette augmentation.
Le transfert de matériaux de construction aux usines du secteur privé dans la bande de Gaza a également repris, en coordination avec Israël et la communauté internationale. La première livraison de matériaux et d’équipements à dix usines du secteur privé a eu lieu le 15 novembre dernier.
En moyenne, 4497 camions transportant des marchandises sont entrés chaque mois dans la bande de Gaza au cours des neuf derniers mois. D’autre part, les meubles et les produits textiles produits dans la bande de Gaza vont être exportés vers les pays du monde entier.
L’État d’Israël a augmenté la quantité d’eau qu’il transfère chaque mois vers la bande de Gaza et a fourni des équipements dans le but d’améliorer la production d’électricité à Gaza.
La communauté internationale rejette l’idée selon laquelle le blocus est illégal et considère que les marchandises et l’aide humanitaire sont efficacement transférées vers la population civile de la bande de Gaza.
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La morale à l'école ? Une fausse bonne idée


(Je vous propose un texte écrit par Damien Theillier - professeur de philosophie à Paris - qui résume en quelque sorte ce que je pense du nouveau projet du gouvernement)
Dans le climat d'angoisse provoqué par la crise éducative, il est fréquent d’en appeler à l'Âge d'or des hussards noirs de la République. C’est ainsi que le 29 août dernier, Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale et auteur de Jean Jaurès et la religion du socialisme (2000) et Une religion pour la République, la foi laïque de Ferdinand Buisson (2010), annonçait son intention d'instaurer « une morale laïque (...) du plus jeune âge au lycée ». Rappelons que la morale à l'école fut instaurée en 1882 par la IIIe République, avant d’être supprimée en 1968, puis timidement rétablie à l’école primaire dans les années 1980.
Dans un entretien au Journal du dimanche, le ministre souligne que la morale laïque ne doit pas s’apparenter à l’« ordre moral » ou à l’« instruction civique »: « Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix », précise-t-il.

(Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale)
 On voit ici que la question de la liberté est au coeur du débat. Il faudrait donc notamment arracher les enfants à l’influence de leurs parents et les convertir aux valeurs républicaines, prétendument universelles, pour les rendre libres. Mais qu’en est-il du déterminisme et de l’ingérence politique? Ne faut-il pas aussi et surtout arracher les enfants à la tutelle de l’État? Le projet républicain d’uniformisation des consciences par l’école d’État est-il compatible avec le respect de la liberté de conscience?
Républicains et libéraux

Depuis 200 ans, à la suite de Jules Ferry, les républicains se disent partisans de la liberté par l’enseignement, c’est-à-dire par l’émancipation à l’égard des traditions et des dogmatismes.

Descartes tient une place particulière dans les origines de l’idée républicaine (voir sur ce point Claude Nicolet, L'Idée républicaine en France, 1789-1924, Gallimard, Tel, 1994, p. 54-55). On en a un bon exemple sous la plume de Condorcet (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, 1794). Pour Condorcet, tout homme est doté d'une « raison » que Descartes appelle aussi « bon sens », c’est-à-dire la capacité de comprendre suffisamment le monde pour se guider soi-même dans sa vie tant privée que publique. C'est cette faculté qui fait la dignité de l'homme. C'est elle qui permet aux disciples de Descartes de récuser le « sujet » de la monarchie ou de l’Église, dépendant et soumis, pour constituer le « citoyen » de la République, autonome et responsable. En conséquence, la politique éducative républicaine consistera à concevoir l’école, et l’enseignement de la morale, comme un service de l’État, lui-même conçu comme l’incarnation de la Raison. Cette conception repose sur une double assimilation: celle de la vie culturelle à l’État et celle de l’État à la Raison.

Au contraire, pour les libéraux, la vraie liberté, c’est liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le libre choix par les parents de l’école qui correspond à leurs convictions profondes.
Les libéraux défendent l’État minimal lockien car la vie sociale comprend une dimension morale et culturelle qui, en tant que telle, est indépendante de l’État. Pour eux, l’école n’a pas vocation à être au service de l’État. La science est universelle, l’État est toujours particulier. Lier l’école à l’État, c’est mettre en danger la liberté de l’esprit, en liant la science ou la morale à une idéologie particulière, celle de la république laïque par exemple, avec l’égalité réelle, le solidarisme, etc.
La tutelle de l’État sur l’école sous Jules Ferry pouvait s’expliquer en raison de la polémique antichrétienne. Il s’agissait d’arracher l’éducation à la tutelle de l’Église. Au XIXe siècle, l’Église pouvait apparaître comme un principe d’obscurantisme et de dogmatisme. Mais aujourd’hui n’est-ce pas l’école d’État qui représente tout à la fois le dogmatisme et l’obscurantisme? Un système éducatif monopolistique comme le nôtre empêche les parents de choisir l'éducation de leurs enfants et interdit aux chefs d'établissement et aux professeurs de dispenser un enseignement original. Or, une éducation aussi centralisée est contradictoire avec l’idée même de liberté. Si c’est l’État qui forge l’opinion des citoyens, il n’y a plus de contrôle de l’État par les citoyens et c’est le despotisme politique. 
L’indispensable concurrence scolaire

La liberté de choisir ses programmes d’enseignement n’est donc pas seulement une exigence tenant aux droits individuels, c’est aussi une condition sine qua non du fonctionnement de la démocratie elle-même. L’école se doit d’être un contre-pouvoir face aux idéologies politiques du moment et à l’ingérence étatique. Par ailleurs, l’enfant n’est pas une création de l’État. Ses parents ont la responsabilité de le guider dans la vie et ils ont donc le droit de choisir une école qui corresponde à leurs idées éducatives, à leurs espoirs pour le caractère et l’avenir de leurs enfants.

Ce qu'il faudrait aujourd'hui, c'est une situation qui rendrait impossible la soumission de l’école à une tutelle unique, quelle qu'elle soit, c'est-à-dire une situation de concurrence. Il faudrait rendre aux parents la liberté d’accomplir leur mission essentielle. À eux de choisir l’éducation qui convient pour leurs enfants.

Ce sont en effet les libres associations d'individus et la pluralité des offres pédagogiques, qui permettent l'adaptation des écoles à ce qui est vraiment souhaité par les individus. La concurrence fait émerger des solutions privées de bien meilleure qualité que les services publics. Car la concurrence favorise la correction continue des erreurs et des abus de toutes sortes en faisant jouer la compétition entre plusieurs centres de décision, notamment au niveau local.

Bien sûr, certains ne manqueront pas de s’inquiéter: si l’État autorise la création d’écoles libres fondées sur des convictions religieuses ou philosophiques, comment éviter le déferlement d’écoles sectaires ou fanatiques? À cela nous répondrons qu’une école libre n'est pas une enclave bénéficiant d'un droit d'extra-territorialité: le droit commun s'y applique.

D’autres feront le procès de l’économisme et dénonceront l’asservissement des écoles libres au capitalisme, la constitution d’une école pour les riches, etc. Pourtant, une étude de l’IFRAP, issue des données statistiques du ministère de l’Éducation nationale, fait apparaître que l’enseignement public serait entre 30 et 40% plus cher que le système dit « privé », même en intégrant les dépenses des familles, pour des résultats sensiblement similaires – voire meilleurs – dans le « privé ». En effet, un élève du premier degré dans le privé coûte au total entre 3900 et 4200 euros par an, dont 400 à 700 euros apportés par les parents, contre un coût total de 5470 euros pour les écoles publiques.

Enfin, un système de concurrence scolaire n'a rien d'utopique. Il existe partiellement au niveau de l'enseignement supérieur, avec les grandes écoles, les universités libres, les écoles privées soutenues par les entreprises ou les chambres de commerce. Ces écoles choisissent leurs programmes et délivrent leurs propres diplômes. Or ce système marche. Ne serait-il pas temps de s’en inspirer au niveau des enseignements primaire, secondaire et technique?
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mardi 16 octobre 2012

Un retrait unilatéral israélien ?


Devant le blocage des négociations (nous reviendrons prochainement pour en expliquer les raisons), certains leaders politiques israéliens commencent à émettre l'idée suivante : un retrait unilatéral de la Cisjordanie (qu'Israël occupe depuis laGuerre des six jours en 1967).
Cette proposition a récemment été formulée (dans le journal israélien "Israel HaYom") par le ministre israélien de la défense, Ehud Barak. Ce retrait de la quasi-totalité de la Cisjordanie (à l'exception des centres urbanisés comme les villes d'Ariel ou de Maaleh Adumim) obligerait à plusieurs milliers de juifs de choisir entre quitter cette région ou rester sous l'autorité d'un gouvernement palestinien. Le ministre de la défense n'a pas précisé si – dans le cas d'un tel retrait – l'État d'Israël annexerait ces centres urbains.
Le retrait unilatéral israélien le plus récent est celui qui eut lieu en 2005, lorsque le gouvernement d'Ariel Sharon avait forcé environ 9 000 juifs qui vivaient dans la bande de Gaza à la quitter. Ehud Barak a déclaré que pour les israéliens, il ne s'agit certainement pas d'une décision facile, mais qu'après avoir administré la Cisjordanie depuis 45 années, il estimait qu'il fallait admettre la réalité.
Contrairement à ce qu'on aurait pu penser, cette proposition n'a pas été acceptée avec ferveur par les palestiniens. De fait, Wasel Abu Youssef (membre du Comité exécutif de l'Organisation pour la Libération de la Palestine) a fait savoir (à l'agence de presse Ma'an située à Bethlehem) qu'il n'était pas question d'accepter ce qui semble être « un État provisoire basé sur des espaces géographiques séparés les uns des autres ». Il a noté également la volonté palestinienne de déclarer Jérusalem capitale du futur État palestinien, ce que le ministre israélien de la défense n'aborde pas dans sa proposition.
Les médias (agence chinoise Xinhua) ont annoncé que selon les palestiniens, une rencontre secrète entre Ehud Barak et le président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, avait eu lieu en Jordanie le 11 octobre. D'après ces informations, la rencontre s'est faite en présence du Roi Abdullah II de Jordanie dans la capitale jordanienne. Pendant cet entretien, Mahmoud Abbas a répété son opposition à l'établissement d'un État palestinien doté de frontières provisoires. Ehud Barak a démenti s'être rendu en Jordanie.
Commentaire
Du côté israélien, ce retrait signifie sans doute la volonté de faire avancer le processus de paix en forçant le passage : même sans les palestiniens, les israéliens pourraient ainsi prendre des décisions qui les rapprocheraient – selon eux – de la paix.
Du côté palestinien, le problème de l'indépendance de la Palestine n'est certainement pas un enjeu à prendre pièce par pièce. Plutôt, c'est l'ensemble de la problématique (frontières précises, Jérusalem comme capitale, retour des réfugiés...) qui doit être considérée en même temps.
Les chances sont presque nulles qu'une telle proposition se concrétise un jour. Les négociations officielles entre israéliens et palestiniens étant interrompues depuis maintenant plusieurs mois, il faudra certainement attendre d'autres propositions pour espérer voir la paix se rapprochée d'une façon significative.
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Finkielkraut et Ramadan

Dans ma recherche à propos de la pensée l'intellectuel Tariq Ramadan, je vous propose de suivre un échange intéressant entre Alain Finkielkraut et Tariq Ramadan (le document est en trois parties).






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lundi 15 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (2)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article est la deuxième partie d'un texte dans lequel je  présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.) Pour lire le première partie, cliquez ici.
Si la diversité existe certainement parmi les musulmans, tous sont unis par la même croyance et les mêmes pratiques ; ainsi, on parle de «ummah » (« communauté musulmane ») en se référant aux musulmans, peu importe le pays dans lequel ils résident.
Cependant, Tariq Ramadan relève que la diversité existe dans deux domaines distincts. Tout d'abord, les lectures et interprétations variées des textes musulmans de référence sont une réalité qui permet de comprendre l'existence des différentes traditions, tendances et pensées au sein des écoles du droit musulman.
D'autre part, la diversité est d'ordre culturel. Ceci signifie que les musulmans ont toujours tenu compte des cultures et des traditions des pays dans lesquels ils vivent ; ainsi, un musulman africain n'est pas identique à un musulman asiatique. En d'autres termes, au fil des siècles, les musulmans ont toujours été « sélectifs et ont préservé ce qui ne contredisait pas les principes de leur foi » et il est donc possible d'affirmer qu'il existe « une religion – un islam – avec différentes interprétations et plusieurs cultures » (p. 42).
Ce phénomène historique est ce que vivent de nos jours les musulmans en Europe. Dans leurs cas également, ils doivent « rester fidèles aux principes religieux fondamentaux, tout en admettant leur culture occidentale. » De la sorte, ils sont « entièrement musulmans en ce qui concerne la religion et entièrement occidentaux en ce qui concerne la culture » (p. 42).
Le défi des musulmans consiste donc à « opérer une distinction » entre ce qui est culturel et ce qui est religieux. Dans le premier cas, il suffit d'adopter « les éléments positifs des cultures occidentales » et dans le second, il faut « rester fidèle aux principes de l'islam » (p. 44). Taris Ramadan affirme ainsi que ce processus permet de considérer que l'islam – tel qu'il est vécu par les musulmans qui résident dans les pays de l'ouest – est devenu une religion occidentale (p. 45.)
Prendre en considération les valeurs occidentales, tout en restant fidèles aux principes de l'islam permet à un islam réformiste de voir le jour et ce sont précisément les musulmans réformistes qui sont les plus nombreux en Occident, parmi les musulmans croyants et pratiquants (p. 47).
Le tableau est ainsi dressé de deux courants qui s'opposent : celui de l'islam réformiste et de l'islam littéraire. Selon l'auteur, si l'islam réformiste a déjà fait évoluer énormément l'interprétation des textes classiques musulmans, il doit aller encore plus loin et se modifier d'un islam de « réformes d'adaptation » en un islam de « réformes de transformation. ». Tariq Ramadan parle dans ce cas de « réformes radicales » qui sont indispensables afin de considérer sous un nouveau angle les « sources mêmes des principes fondamentaux de la loi islamique et de sa jurisprudence. » (p. 48).
Cette vision s'oppose de plein fouet à celle des minorités qui favorisent une approche littérale des textes et qui rejettent dans leur ensemble les valeurs occidentales perçues comme étant « vides de religion » et « dénuées de morale. » Les leaders de ces minorités ont un respect aveugle pour les autorités qui légifèrent le droit islamique (p. 49). Le fait qu'elles soient marginales parmi les musulmans échappent le plus souvent aux médias (p. 50).


Afin de donner un aspect concret à sa réflexion et aux progrès qu'il affirme avoir constaté dans l'islam en Occident, l'auteur cite quelques exemples. Ainsi, il estime que la majorité des musulmans qui vivent en Occident ne se considèrent plus comme des « étrangers » dans un monde qui n'est pas le leur. Plutôt, ils sont devenus – à l'image des croyants des autres religions – les propres « témoins » de leur message et principes et se sentent maintenant chez eux là où ils vivent (p. 51).
Également, la quasi-totalité des musulmans ont intégré deux concepts importants du monde occidental : la liberté de conscience et la liberté de croyance. Ils ont également compris que la laïcité et la neutralité religieuse garantissent la pluralité religieuse au sein des sociétés occidentales et qu'elles protègent leurs droits légitimes (p. 52).
Ceci explique la raison pour laquelle les musulmans ne demandent pas la promulgation de lois spécifiques à leurs égards, mais plus simplement que les lois qui existent soient appliquées et que toutes les religions reçoivent le même traitement (p. 52).
En ce qui concerne la présence de plus en plus visible des musulmans dans les sociétés occidentales, Tariq Ramadan note que nous commettons souvent l'erreur de penser qu'il s'agit de l'émergence d'une communauté ségrégationniste. Plutôt, il estime que cette visibilité est le fruit d'une meilleure implication des musulmans au sein de ces sociétés.
De fait, si les parents ou grands-parents des jeunes musulmans occidentaux avaient tendance à vivre d'une façon isolée et invisible, la nouvelle génération s'ouvre au monde extérieur et s'implique dans le monde social, culturel, politique, éducationnel... De timorés et effacés, les citoyens musulmans sont devenus des individus qui s'impliquent de plus en plus dans la société (p. 53).
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