mercredi 31 octobre 2012

Ma station-service palestinienne (1)


J'avais fini ma journée de travail, mais avant de reprendre l'autoroute en direction de Jérusalem, je devais faire le plein d'essence. Ce fut donc avec joie que j'aperçus une station-service. Après être passé à la pompe, j'entrai dans la boutique afin de payer. Celle-ci était de taille plutôt réduite, mais remplie de jeunes gens d'environ vingt à trente ans. Tous semblaient être préoccupés à lire les étiquettes et les prix de bouteilles d'alcool fort : vodka, whisky, cognac...
Pendant que j'essayai de me frayer un chemin pour atteindre la caisse, j'entendis soudainement un grand remue-ménage. En quelques secondes, toutes les bouteilles avaient été remises sur les étagères et la boutique se vida presque entièrement. Entra ensuite un homme d'une cinquantaine d'années, habillé en djellaba. Lui aussi avait fait le plein d'essence et devait payer ; il le fit sans prononcer un mot. Je le vis remonter dans son véhicule et quitter les lieux ; quelques secondes plus tard, la boutique fut de nouveau remplie des mêmes jeunes gens. La valse des bouteilles d'alcool reprit de plus belle.
Avec mon hébreu plus qu'approximatif, je demandai au caissier quelle pouvait bien être la raison du spectacle étonnant auquel j'avais assisté. Celui me répondit : « Ces jeunes gens sont musulmans et ils choisissent ce qu'ils boiront ce soir entre amis. La personne qui est entrée tout à l'heure est l’imam du village arabe voisin et il n'aurait certainement pas approuvé le comportement de ces jeunes gens : selon l'islam, il est interdit de consommer de l'alcool. »


De fait, je me trouvais dans les territoires occupés et la route était bordée de villages arabes. Dans aucun de ces villages il était possible de se procurer de l'alcool et les jeunes gens qui désiraient en boire devaient se rendre à la station-service la plus proche – dont le patron était juif – qui offrait un large éventail de bouteilles d'alcool fort. La boutique était tellement remplie de ces bouteilles que je ne suis pas certain de pouvoir qualifier le lieu comme une « station-service dans laquelle on vend de l'alcool » ou une « boutique de spiritueux dans laquelle on peut faire le plein d'essence » !
Cet épisode a maintenant un peu plus d'une année. À cette époque, j'ai passé environ trois mois à parcourir la même région des territoires occupés et à rencontrer les personnes que mon travail exigeait que je rencontre. Presque chaque fin de journée, avant de reprendre la route en direction de Jérusalem, je pris l'habitude de m'arrêter dans la même station-service. Nous étions en été et le climat incitait à boire un verre avant de reprendre la route. Deux tables – accompagnées de leur parasol – avaient été intelligemment mises à côté de la boutique et je devins un habitué de l'endroit.
Assis entrain de boire un coca, j'eus l'occasion pendant ces quelques mois de discuter avec plusieurs dizaines de personnes, la majorité d'entre elles étant des palestiniens. Loin des médias, des « messages » à faire passer et des situations qui ne se prêtent guère au dialogue véritable, j'ai reçu ma plus belle histoire du conflit israélo-palestinien. Plus tard dans la soirée – après avoir rejoint Jérusalem – je notais sur un cahier les discussions que j'avais eues.
La perception que j'avais de ce conflit en fut grandement affinée. En Israël, les contacts se font d'une façon naturelle et les rires égrainaient régulièrement nos échanges. Ce que j'ai entendu, je ne l'ai trouvé dans aucun livre d'histoire, ni lu dans aucun forum. Les personnes à qui j'ai parlé provenaient de différents milieux : pauvres, aisés, riches. À l'exception de quelques-unes, toutes partageaient le même espoir : que la paix s'installe entre juifs et arabes et que tous puissent vivre en bons voisins.
Le matériel dont je dispose est merveilleux ; j'ai même pensé à le publier sous forme de livre. Pourtant, cela ne se fera pas. On jugera mes histoires comme étant « pro-israéliennes », pas assez « dures envers l'occupant »... La vérité est que je n'ai pas ajouté un seul mot à ce que j'ai entendu de la bouche des palestiniens qui me parlaient. Les élites politiques palestiniennes sont bien éloignées de l'intérêt de leur peuple. Du Hamas qui mène une guerre sainte afin de débarrasser la terre arabe de la présence juive, à l'Autorité palestinienne qui est corrompue de la tête au pied, les individus à qui j'ai parlé ont bien peu d'avocats.
Au Québec, ce sont les leaders politiques qui parlent souvent de la future indépendance du Québec et du « combat » entre francophones et anglophones. À la base, la population se fiche de ces discours et vit bien ensemble. Dans les territoires occupés, les leaders politiques s'intéressent à bien des choses, mais pas trop au bien-être de la population. Un jour, peut-être, je raconterai tout ce que j'ai entendu.                 

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