mardi 23 octobre 2012

La pensée libérale par Raymond Aron


(Extrait d'un discours prononcé par Raymond Aron le 18 novembre 1969)
Le libéralisme, tel que nous l'entendons, ne se réduit pas à la défense et à l'illustration de la libre entreprise et des mécanismes du marché. La pluralité des centres de décision, la fonction jusqu'à présent irremplaçable du mécanisme des prix représentent des modalités institutionnelles, dont l'expérience a confirmé la valeur, d'une conception de la vie collective, de l'existence humaine.
Conception que les uns taxent de pessimiste et que je juge optimiste ; conception pessimistes aux yeux des utopistes qui, prêts à donner leur cœur et leur vie à un parti, à un chef, à une révolution, nous reprochent de leur rappeler la retombée fatale de la mystique en politique et le risque de la tyrannie totale au nom de la libération intégrale.
Mais notre pseudo- pessimisme s'accompagne en vérité d'un acte de foi : nous acceptons le risque des libertés et de la démocratie, nous faisons le pari qu'en dépit de tout, la discussion permanente n'interdira pas la paix civile, que la contradiction des intérêts particuliers laissera se dégager des décisions compatibles avec le bien de la nation.


Nous préférons le désordre et le tumulte des sociétés libres au calme apparent des régimes où les détenteurs du pouvoir suprême prétendent détenir la vérité et imposent à leurs citoyens-sujets une discipline de pensée et de parole en même temps que d'action.
Nous choisissons les sociétés dans lesquelles l'opposition passe pour un service public et non pour un crime. Préférence et choix qui me paraissent témoigner d'un optimisme fondamental, ou, en tout cas, d'un courage raisonné.
La pensée libérale, ainsi conçue, sans illusion mais non sans volonté, sans perspective du paradis sur terre, mains non sans espoir d'améliorer peu à peu, à travers les luttes des individus et des partis, le sort du plus grand nombre, la pensé libérale appartient-elle déjà au passé ? Est-elle condamnée, comme d'aucuns le prétendent, par le mouvement des idées et des évènements ?
Je ne nie pas les faits, le progrès, dans la communauté intellectuelle et universitaire, des idées marxistes ou pseudo-marxistes, le pullulement des actions étatiques qui, trop souvent, faussent es mécanismes du marché sans atteindre les objectifs visées. Seuls connaissent vraiment le prix des libertés quotidiennes ceux qui souffrent de les avoir perdues. Mais ces libertés, elles demeurent pour nous autres français, l'air que nous respirons, l'âme de notre existence.
Je ne désespère pas, ou, plus exactement, je me refuse à l'attitude du spectateur pur. Je me veux engagé et combattant (...)      

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