dimanche 14 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (1)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.)
Tariq Ramadan se présente lui-même comme un « croyant qui pratique » la religion musulmane (p.8) qui désire « jeter un pont entre deux univers (…) : les civilisations de l'Occident et islamiques » (p. 20). Il « assume entièrement (sa) foi musulmane et (sa) culture occidentale » et estime que les valeurs que ces deux concepts possèdent en commun sont plus importantes que leurs différences (p. 15).
Se sachant critiqué des deux côtés, il demande d'une part aux musulmans d'admettre que « tous les musulmans et que la majorité des sociétés musulmanes n'ont pas été et ne sont pas à la hauteur de l'excellence » de l'islam et d'autre part aux occidentaux de reconnaître les aspects meurtriers des colonies, destructeurs de l'ordre économique, le racisme, la discrimination, les relations avec les dictatures... » (p. 23).
Tariq Ramadan replace les relations entre occidentaux et musulmans dans le contexte actuel de crise d'identité que chaque camp vit de nos jours. Dans le monde occidental, le phénomène actuel de la mondialisation et – en ce qui concerne l'Europe – l'émergence de l'Union européenne représentent un nouveau défi au concept de l'État-nation. Ainsi, les points de référence habituels de l'identité nationale sont mis à mal et le phénomène de l'immigration ne fait qu'ajouter un risque supplémentaire à la menace de l'homogénéité culturelle (p. 24).
En ce qui concerne les musulmans, la crise d'identité est également réelle. De fait, l'auteur souligne le retard économique de la majorité des sociétés musulmanes, les démocraties imparfaites et l'absence d'une contribution significative des sociétés musulmanes riches au progrès intellectuel et scientifique. De plus, les musulmans qui vivent en Occident doivent faire face à un environnement où la religion et ses valeurs occupent une place extrêmement réduite.
Dans un tel contexte d'incertitudes et d'inquiétudes, le dialogue entre les deux parties est rendu difficile, presque impossible. Tariq Ramadan souligne qu'il est primordial de tenir compte de l'état psychologique de chacun si l'on désire comprendre les peurs, la tentation de rejet, le repli sur soi... de chaque partie. Afin d'établir tout de même le dialogue, l'auteur estime que nous avons l'obligation de nous faire confiance mutuellement et de reprendre assurance en nous-mêmes (p. 29).


L'auteur attire notre attention sur les différence profondes entre les musulmans immigrés qui sont arrivés en Occident il y a plusieurs dizaines d'années et les jeunes musulmans aujourd'hui occidentaux : si les premiers ne se sentaient certainement pas appartenir à la culture européenne ou américaine, les deuxièmes revendiquent leur identité occidentale. Également, c'est la perception de la laïcité par ces musulmans qui a évolué : ils ont compris que le concept de la séparation entre l'Église et l'État n'implique pas forcément la disparition des religions ; plutôt, il s'agit de légiférer sur leur présence dans la sphère publique (p. 32).
Cette évolution a permis à de nombreux musulmans d'abandonner leurs scrupules à s'identifier avec les nationalités des pays de l'ouest dans lesquels ils vivent et de s'affirmer comme citoyens à part entière de leurs pays de résidence. Les conséquences de cette nouvelle donne est leur implication plus importante qu'auparavant dans tous les aspects de la vie : sociaux, politiques, culturels... (p. 32)
De fait, Tariq Ramadan estime que nous assistons à une véritable révolution silencieuse : celle qui voit les musulmans qui résident dans nos pays tisser des liens de plus en plus nombreux avec leurs compatriotes non-musulmans. S'il s'agit d'une révolution silencieuse, la raison en est que les médias ne s'intéressent pas à ce mouvement historique (p. 33).
Bien sûr, certains citoyens musulmans sont extrémistes et la violence peut même faire partir de leur mode d'expression. Ce sont eux qui attirent l'attention du public et des médias et leur volonté de ne pas s'identifier avec les valeurs de l'Occident jette alors le discrédit sur l'ensemble des musulmans respectueux des lois de leur pays (p. 32).
L'auteur aborde le concept de la « double-identité » qui est souvent perçu comme une forme de trahison. Un musulman doit-il se définir américain, français, italien... avant d'être musulman ou l'inverse ? Choisir semble une obligation afin de prouver sa loyauté à ses compatriotes. Pourtant, Tariq Ramadan dénonce cette vision simpliste de l'identité et rappelle que chaque individu peut en posséder plusieurs. Ainsi, il n'existe pas de contradiction à prétendre que dans le domaine de la religion, un individu peut se définir comme musulman, juif ou chrétien, tandis que pour une activité différente (par exemple : lors d'élections), un individu votera en tant que canadien, australien ou espagnol (p. 36).
Cette identité multiple doit permettre à chaque musulman de pouvoir apporter un appui réfléchi à sa communauté religieuse, c'est-à-dire de conserver la possibilité de dénoncer les musulmans s'ils soutiennent une cause raciste ou des dictatures, des attaques terroristes ou le meurtre d'innocents. En même temps, chaque musulman se doit de dénoncer son gouvernement si celui-ci s'engage dans une guerre injuste, soutient l'apartheid ou s'associe avec les pires dictateurs dans le monde (p. 39).
Tariq Ramadan pense qu'être un patriote est certainement un sentiment positif, mais que ce sentiment ne justifie pas un soutien à un nationalisme aveugle et chauvin. En guise d'exemple, l'auteur cite celui des personnes qui – pendant la deuxième guerre mondiale – refusèrent de livrer des personnes juives à leur gouvernement, ceux qui refusèrent de livrer bataille au Vietnam, qui s'opposèrent à l'apartheid, à instrumentalisation de la religion dans le but de créer un système autocratique islamique (comme en Arabie Saoudite), ceux qui condamnent les attaques terroristes contre des innocents faites au nom de la religion (p. 40).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire