dimanche 3 février 2013

Israël : un État religieux ?


On l'entend souvent : Israël serait un État religieux. D'ailleurs, l'insistance du premier ministre israélien pour que les Palestiniens reconnaissent l'État d'Israël en tant qu'État juif ne serait pas la preuve la plus flagrante ? Que signifie « être Juif », si ce n'est un sentiment religieux ? Pourtant, cela n'est pas exact et c'est parce qu'il n'a pas compris cela que Shlomo Sand publie ses livres. Selon Sand, pendant plusieurs siècles, le concept de « Peuple juif » a été artificiellement entretenu alors qu'on aurait dû parler de « communauté religieuse. »

Les fondements du nationalisme

Ce raisonnement n'est pas le bon car il ignore les fondements du nationalisme. La question peut se poser d'une façon très simple : « Quelle est la définition d'une nation ? » L'étude du nationalisme est relativement récente dans les universités et il existe certainement plusieurs définitions. Si certains auteurs mettent en avant les origines ethniques, d'autres préfèrent parler des institutions politiques distinctes dans lesquelles chaque nation tire sa fierté. D'autres auteurs relèvent le facteur géographique : une nation est un groupe de personnes qui vivent dans un certain espace géographique. La liste est longue de critères qu'il est possible de prendre en compte, selon l'auteur qu'on étudie.

Un des auteurs classiques du nationalisme – Benedict Anderson – a inventé un concept qu'il est impossible d'ignorer lorsqu'on étudie le nationalisme : selon Anderson, la nation existe – avant tout – dans l'esprit des membres qui la compose. Ainsi, Anderson parle de « communautés imaginées », c'est-à-dire de communautés qui existent dans un imaginaire commun. Les « communautés imaginées » d'Anderson reposent sur le fait que nous ne voyons jamais – face-à-face – l'immense majorité des membres de la nation à laquelle nous appartenons. Pourtant, dans notre esprit, il existe un certain nombre d'affinités entre les membres de notre nation (et ces affinités changent évidemment pour chaque nation), ce qui nous permet de nous identifier à elle (par exemple : la nation française.)

Les ouvrages de Benedict Anderson sont très enrichissants et méritent certainement plus que ces quelques lignes succinctes d'explication. Pourtant, cela nous permet de comprendre l'essentiel de sa pensée : une nation existe car... ses membres le désirent. Logiquement, il devient aisé de comprendre les raisons pour lesquelles le Peuple juif existe depuis des millénaires : durant toute cette période, des individus se sont toujours identifiés à ce peuple.

Il est maintenant également facile de comprendre pour quoi le facteur de la religion ne peut pas être le seul pris en compte afin de définir le Peuple juif. On peut penser que ce facteur soit effectivement important pour les Juifs croyants, mais pour tous les autres ? Quels argument pouvons-nous rétorquer (et de quel droit) à une personne qui se définit comme « juive », même si elle ne pratique d'aucune façon le Judaïsme ? Selon Benedict Anderson, la réponse est simple : aucun argument valable ne peut tenir face à cette personne. Le seul fait qu'elle se définisse comme juive suffit pour la considérer juive.

Après ce préambule, la notion d'« État juif » ne doit donc pas être forcément définie comme une notion religieuse, mais comme une « communauté imaginée » d'un nombre important de personnes qui se définissent comme « juives ». S'il s'agissait d'un concept religieux, celui-ci possèderait plusieurs critères qui lui font défaut aujourd'hui.


 
(Leaders politiques israéliens)

Un État religieux – peu importe la religion – devrait certainement être rattaché à un ordre religieux. C'est de ses hauts représentants que l'État devrait recevoir ses ordres et d'aucune façon, l'État aurait la possibilité de se trouver en conflit avec son « Église. » Si tel était le cas, il ne deviendrait plus religieux, changerait de religion. Par exemple : un État ne pourrait pas se déclarer musulman et permettre la commerce du porc et de l'alcool dans ses frontières. Un autre État ne pourrait pas se déclarer chrétien et autoriser le mariage pour homosexuel. Enfin, un État ne pourrait pas prétendre être juif et posséder des jours de fêtes qui n'existent pas dans le Judaïsme.

Dans tous les cas, on conviendra – comme nous l'avons dit plus haut – qu'un État religieux reçoive ses ordres des représentants religieux et qu'un conflit ne pourrait pas exister entre les deux car les autorités religieuses auraient toujours le dernier mot.

Israël et la religion

À bien des égards, le rapport que l'État d'Israël entretient avec le Judaïsme peut être comparé à celui que la France entretient avec le Christianisme. Dans les deux cas, les institutions publiques sont fermées les jours de fêtes religieuses, des vœux de Noël (en France) ou du jour du Grand Pardon (en Israël) sont formulés pas les maires, leaders politiques... Pourtant, pas plus que la France est un État religieux, Israël ne l'est.

Dans les deux cas, les dirigeants politiques ne sont pas aux ordres de responsables religieux et leurs décisions à propos de l'art de gouverner reposent sur des raisons qui se situent en dehors de la sphère religieuse (politiques, économiques, internationales...) Pas plus qu'on ne verra un président français aller demander ce qu'il faut faire à un archevêque, on ne verra un premier ministre demander à un grand rabbin d'Israël quel chemin il doit suivre.

Dans les deux cas, les dirigeants politiques peuvent inviter les représentants religieux afin de connaître leurs opinions à propos de tel ou tel sujet. La raison est simple : les représentants religieux sont invités parmi un nombre d'organismes, d'institutions... dont l'État désire s'enquérir de leur position sur un aspect particulier. Bien sûr, l'État ne possède aucune obligation de suivre ce que disent les représentants religieux.
Enfin, il est important de rappeler l'existence dans les deux pays d'une instance politique suprême (en France : le Conseil constitutionnel et en Israël : la Cour suprême) dont l'objectif est celui de s'assurer que les lois votées par le parlement sont conformes à des principes qui n'ont rien de religieux (droits de l'homme, égalité entre hommes et femmes, droits des enfants...)

Alors : Israël est-il un État religieux ? Toutes les évidences prouvent que non. Pour les personnes qui ne sont toujours pas convaincues, voici quelques indications supplémentaires :
  • Dans un État religieux, serait-il normal que des membres religieux du Parlement soient régulièrement mis en minorité ?
  • Dans un État religieux, serait-il normal que le Premier ministre – ainsi que la majorité des membres du gouvernement – ne suivent pas la religion (qu'ils seraient censés représenter en que leaders religieux) ?
  • Dans un État religieux, serait-il normal que la Cour suprême soient composée de membres qui ne le sont pas ?
  • Dans un État religieux, serait-il normal que des lois contraires aux préceptes religieux soient régulièrement votées ?
(Le sujet est trop vaste pour être abordé d'une façon satisfaisante en quelques lignes. Cependant, les points cités dans ce texte sont autant d'invitations à la réflexion et au commencement d'un raisonnement.)

2 commentaires:

  1. Au vu de toutes vos explications, il n'est donc pas possible, je pense, d'affirmer comme certains le font, qu'Israël repose sur des bases archaïques ethno- religieuses. J'aimerais avoir votre avis. Merci.

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  2. Vous oubliez qu'il reste inconcevable qu'en Israël le premier ministre soit de confession musulmane ou même chrétienne ou qu'il puisse coexister une majorité d'habitants musulmans . C'est peut-être pas un Etat religieux à proprement dit mais un Etat de discrimination religieuse clairement.

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