dimanche 2 décembre 2012

Égypte: la crise politique de Morsi


Depuis la semaine dernière, nous vivons dans l'ombre d'une guerre civile provoquée par les récentes décisions du président. Un état de polarisation profonde a été créé entre tous ceux qui s'associent à des forces politiques islamiques et ceux qui s'associent aux forces non-religieuses.
Les récents amendements constitutionnels du Président Morsi ne sont pas seulement une surprise pour tout le monde et un mouvement mal programmé ; ils sont également une tentative grossière de dominer tous les secteurs de l'État et de proclamer le président comme une autorité suprême qui se situe au-dessus des lois. Il s'agit d'un geste qui nécessite l'existence d'un immense capital politique et ceci est la question : le Président Morsi possède-t-il ce capital politique afin de sauver ses récentes décisions ?
Si nous tenons compte du capital politique que Morsi a réussi à engranger depuis son élection à la présidence égyptienne, il ne semble pas qu'il soit suffisamment grand pour assurer la réussite des décisions présidentielles. Le président (ou les Frères Musulmans, ce qui est la même chose) bénéficie du soutien de la rue grâce à une mobilisation importante des partisans et des membres des Frères Musulmans qui peuvent être déplacés d'un endroit à l'autre. Il a le soutien du Conseil de la Shura (Conseil Consultatif), qui était suspendu à un fil en attente d'être dissout par une décision de justice.
Sans aucun doute, le président a le soutien total des Frères Musulmans, c'est-à-dire les employés de l'organisation, ses ressources financières et son influence politique et religieuse. Ce sont les sources ultimes de soutien incontestable et inconditionnel que le président possède ; toutes les autres sources ne sont pas aussi stables.
Le gouvernement – malgré la représentation importante qu'y représentent les partisans des Frères Musulmans – n'est pas encore une source stable de soutien pour le président. Le gouvernement du Premier Ministre Hesham Kandil n'a pas adopté des politiques qui lui permettraient de consolider son assise dans ses fonctions et il n'a pas effectué toutes les actions qui donnerait au gouvernement un appui certain au sein d'un groupe particulier de la société.
En fait, ce gouvernement a réussi à créer un profond ressentiment envers lui dans plusieurs groupes de la société. Les accidents de train et plusieurs lois récemment promulguées – notamment l'obligation pour les magasins de fermer leurs portes moins tard dans la soirée – sont des exemples de la façon dont le gouvernement a réussi à être haï parmi les différents groupes qui composent la société.
D'autre part, le pouvoir judiciaire ne semble pas être en mesure d'offrir un soutien constant que le président avait pourtant prévu. Toutes les décisions juridiques que Morsi a pris démontrent que le président ne reçoit pas les conseils d'individus qui soient un tant soit peu familiers avec la loi et les normes judiciaires égyptiennes. Par ailleurs, le personnel de l'ancien régime au sein de l'appareil judiciaire semble difficile à pénétrer pour Morsi.


Les médias qui appartiennent à l'État sont indéniablement une aide importante, mais leur portée est limitée. La direction nouvellement nommée du Conseil de la Shura tente de démontrer qu'elle pourrait être bénéfique au président. Cependant, les possibilités à la disposition des médias étatiques – ainsi que la concurrence auxquels ils sont confrontés – restent trop rigides et finalement insignifiantes.
Même politiquement, avant que le président prenne ces décisions, les conflits – entre les Salafistes et les Frères Musulmans – à propos des articles de la future Constitution étaient la cause de beaucoup de tensions entre les forces politiques.
Ainsi, que signifient réellement les évènements récents en Égypte ? Qu'au moment où Morsi n'a d'autre appui que les Frères Musulmans, il décide de prendre des décisions qui allaient sans aucun doute ouvrir les portes de l'enfer sur lui et son peuple. Ce qui signifie que le président est convaincu que le soutien des Frères Musulmans à lui seul est plus que suffisant pour diriger le pays. Et pendant qu'il s'appuie sur cette organisation, il adopte des lois qui permettront de renforcer le pouvoir des institutions qui le soutiennent aujourd'hui.
Le président a fait que le Conseil de la Shura et de l'Assemblée Constituante se trouvent au-dessus des lois et ne doivent rendre des comptes qu'à lui ; il a fait que ses propres décisions deviennent incontestables devant la loi et il a personnellement nommé un nouveau procureur public. Je crois que Morsi pensait pouvoir s'assurer de la présence de ces moyens de soutien jusqu'à ce que la Constitution fut adoptée et qu'un nouveau cadre légal – qui aurait possédé la marque des Frères Musulmans – soit mis en place à travers le pays. En même temps, cela aurait occupé l'opposition en luttant sur deux fronts : le projet de Constitution et le décret constitutionnel.
Le problème dans cette situation est que nous sommes face à une question politique, mais que nous devons y faire face dans un contexte juridique afin de savoir ce qui ressemble à ce qui est licite et ce qui l'est pas. Cependant, la réalité est que la lutte est politique dans la mesure où c'est Morsi qui a décidé de prendre ses aises avec la loi.
La seule chose que Morsi et les Frères Musulmans n'ont pas pris en considération est l'état de l'opposition : unie. Si vous avez réussi à vous rendre à la place Tahrir la semaine dernière, vous aurez compris que ce n'est pas seulement les forces politiques qui s'opposent aux Frères Musulmans mais qu'il y a également les membres des classes sociales qui s'élèvent contre le comportement sans foi ni loi de certains hommes politiques. La présence massive de la classe moyenne dans ces manifestations prouve qu'une alliance sociale contre les Frères Musulmans se répand en Égypte.
La tentative politique mal calculée du Président Morsi – avec ses récentes décisions – aura des effets durables. Si l'alliance de l'opposition reste ce qu'elle est maintenant, il sera très difficile pour les Frères Musulmans de garantir même les gains politiques qu'ils avaient gagnés sous le régime militaire. Si la Fraternité persiste à entretenir l'état de polarisation qu'elle a créée, la situation pourrait soudainement devenir très violente. Enfin, si le président insiste en sa volonté de kidnapper le pouvoir, nous passerons alors simplement d'une crise politique après l'autre.
Ziad Akl
Ziad Akl est un sociologue politique et un spécialiste du Moyen-Orient au "Centre Ahram pour les études politiques et stratégiques." Il est chercheur senior à l'"Unité égyptienne d'études" et rédacteur en chef de la revue "Egyptian Affairs."
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Article reproduit avec l'autorisation du Daily New Egypt

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